Black Friday, faut-il résister à tout prix ?
Hé non, on ne vous parle pas du dernier groupe de rock à la mode, mais vous l’aurez bien compris, de cette animation commerciale, très en vogue en France depuis quelques années !
D’où nous vient cette nouvelle journée de promotions, où les prix défient toute concurrence ? Quels sont les enjeux pour les marques et finalement, avons-nous raison de participer à ce sprint à la bonne affaire ?
On décortique l’effet « vendredi noir », pour que vous puissiez mieux comprendre cette vague de communication qui prend de l’ampleur depuis quelques semaines, pour que vous puissiez faire vos achats en toute connaissance de cause, et pour que vous soyez heureux d’avoir participé (ou non) à cette journée.
L’origine de Black Friday
L’origine de Black Friday est liée… à la fête de Thanksgiving, une tradition annuelle, qui se déroule le quatrième jeudi du mois de novembre aux États-Unis. Thanksgiving, c’est un jour férié, qui se transforme en long week-end, puisque les étatsuniens posent quasiment automatiquement leur vendredi et sont donc en congé pour quatre jours. Traditionnellement, c’était une journée pendant laquelle les travailleurs de la terre remerciaient Dieu (Thanks giving = to give thanks = rendre grâce, dire merci) pour les bienfaits apportés. En Amérique du Nord, Thanksgiving s’est transformée en fête laïque : on célèbre la première récolte des anglais fraîchement débarqués en terre amérindienne. Grâce aux habitants de la terre sur laquelle ils venaient de débarquer, les Pères Pèlerins (Pilgrim Fathers) comme on les appelle, ont appris à cultiver le maïs, à chasser et à pêcher. Ils ont ainsi pu survivre à cette première année en terre étrangère. Le gouverneur anglais, William Bradford a alors décrété trois journées d’actions de grâce, et un superbe festin fut donné, auquel les chefs amérindiens furent invités.
Au XIXème siècle, on se remémore encore cette fête en se retrouvant en famille et en cuisinant un délicieux festin, à base de dinde farcie, de purée de patates douces et de tarte au potiron (la fameuse Pumpkin Pie).
Revenons à nos moutons. Une fois le repas du jeudi digéré, nos amis américains ont donc toute leur journée du vendredi pour se reposer… ou pour aller faire du shopping ! Et à un mois de Noël, ce fameux vendredi férié devient le moment idéal pour commencer ses courses de Noël. Ce qui déclenche de sacrés bouchons aux alentours des zones commerciales et une affluence assez folle dans les magasins. Les routes et les points de vente deviennent « noirs de monde », et ainsi naît, dans les années 70, le Black Friday.
Et puis viennent les soldes un peu permanentes, les enchaînements de remises, de discount, de ventes privées. Contrairement à la France, les États-Unis ont beaucoup moins de contraintes réglementaires sur ce sujet et les commerçants peuvent donc pratiquer des journées ou périodes de soldes un peu quand ils le souhaitent. Et pour s’assurer que les clients viendront faire leurs achats de Noël chez eux, les grandes enseignes se mettent à proposer de super rabais pour ce Black Friday.
Depuis quelques années, en Amérique du Nord, une vraie frénésie s’instaure ce jour-là: les consommateurs se renseignent sur les meilleures promos et se campent devant les grilles de magasins pour être sûrs de profiter des meilleurs deals dès l’ouverture. Des vidéos surprenantes en témoignent : des dizaines de personnes qui se ruent dans les allées d’un magasin, des bagarres autour d’une télé écran plat…
Depuis la France, on trouve ça un peu fou, et puis finalement, tout doucement, le Black Friday s’invite aussi de ce côté de l’Atlantique. On le voit apparaître, assez discrètement, en 2014, et depuis, il prend de l’ampleur chaque année, avec des promos de folie en ligne : email, texto, publicités sur nos réseaux sociaux préférés… difficile de ne pas craquer !
Friday à prix cassés
Le but des grandes enseignes : vous proposer les meilleurs plans réduc’ pour vendre un maximum de produits en un minimum de temps, Black Friday étant concentrées sur quelques jours seulement (du vendredi au dimanche, avec en supplément, le lundi avec Cyber Monday, qui est censé être l'équivalent du Black Friday pour les sites e-commerces... sauf qu'aujourd'hui tout est mélangé et finalement tout le monde s'y met en même temps).
- 20%, - 30% -50% voire plus, sur des vêtements, des chaussures, des appareils électroniques, les jeux pour enfants : l’occasion parfaite pour faire d’excellentes affaires entre les soldes d’été et les soldes d’hiver !
Sauf que… certaines marques, ou certains distributeurs vont profiter d’une absence de cadre légal au sujet des réductions de prix pour :
- parfois gonfler leurs prix quelques semaines avant Black Friday (vous pouvez aussi remplacer Black Friday par « les soldes » ou « les ventes privées ») pour ensuite appliquer une promotion qui permet simplement de retrouver le prix d’origine du produit. Un objet initialement vendu 49€ verra son prix s’élever à 70€ juste avant la promotion, puis la marque appliquera une réduction de 30% et zou ! on retrouve notre prix initial de 49€.
- …ou alors jouer sur les mots et comparer un prix de vente conseillé (qui n’est pas le prix de vente réel sur le marché) avec un nouveau prix en promotion. Par exemple, un robot de cuisine avec un prix de vente conseillé par la marque de 400€, peut en réalité être vendu sur différentes plateformes autour de 300€ (prix réel du marché). Un marchand peu scrupuleux peut proposer une promotion à 250€ en prétendant se baser sur le fameux prix de vente conseillé et en mettant donc en avant une ristourne de (400-250) 150€ ! La bonne affaire ! Mais en réalité, la ristourne réelle sera seulement de 50€, puisque vous auriez pu acheter le robot 300€ juste avant la promotion.
L’association UFC-Que Choisir a d’ailleurs mis en demeure cette année six enseignes qui ont usé de ce tour de passe-passe un poil malhonnête, et surtout assez compliqué à déceler par les consommateurs (raté, le "pas vu, pas pris").
L’association avait aussi fait le travail, en 2018, de comparer le prix des produits avant et après l’opération Black Friday (en s’appuyant, pour référence, sur le prix le plus bas pratiqué par les marchands dans les 28 jours précédents Black Friday). Résultat des courses : seulement 8,3% des 31 600 produits analysés ont effectivement subi une baisse de prix, avec un rabais moyen de… 7,5% ! On tombe un peu loin des 30% ou 50% promis sur les publicités, qui finalement sont surtout là pour nous inciter à aller faire un tour en magasin ou sur les sites internet.
La course à la consommation
Ce qui importe les marchands, lors de ces opérations commerciales, c’est entre autres le panier moyen dépensé par les consommateurs sur leur site. On nous propose, pour accompagner notre nouveau robot de cuisine à seulement 250€ au lieu de 400€, les incroyables accessoires pour le robot pour 100€ (-10% de réduction supplémentaires !), on vous suggère d’ajouter au panier un moule à gâteau en silicone dernière technologie puisque ceux qui ont acheté le robot de cuisine ont aussi acheté le moule à gâteaux et enfin, on vous indique que si vous voulez acheter le dernier livre de cuisine « Les meilleurs gâteaux express avec mon Robot de Cuisine », il faut vite cliquer car il n’y en a plus que 3 en stocks !
Tout ça, ça s’appelle des dark patterns, et ce sont des outils marketing très performants et assez subtils (n’ayez pas honte, on se fait tous avoir) qui nous poussent à acheter plus et vite pour ne pas louper la bonne occasion. On n’en a pas besoin mais, bon, qui peut résister, à ce prix !
Et puisqu’on croit bien en une chose, c’est l’intelligence humaine et notre capacité à apprendre pour ne pas se faire embobiner, on vous ici 4 références au top du top pour repérer les dark patterns :
- L’article du blog de Loom, petite pépite qui nous a beaucoup fait rigoler
- L’article très complet chez Novaway, une agence web, qui décrypte 12 types de dark patterns
- Une vidéo de The NerdWriter, en anglais, qui vous explique le pattern du Roach Motel, technique mise en place par certains sites pour qu’il vous soit impossible de supprimer votre compte
- Pour les plus motivés, l’excellent livre Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, par Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, disponible dans de nombreuses librairies de vos quartiers, et en ligne chez decitre.fr
Le concept de la bonne affaire
-50 ou -70%, mais c’est de la folie, comment font-ils ? Les marques vendent-elles à perte ? Impossible, hors période de soldes ! (c’est interdit en France). Alors pourquoi peuvent-ils descendre les prix aussi bas ?
Les marchands vont rogner sur la marge de certains produits, notamment ceux qui se vendent moins bien que les autres. Dans certains secteurs, et sur certains produits de grande consommation, le prix de production du produit est 5 à 10 fois inférieur au prix de vente (prêt-à-porter de grandes marques, cosmétique, produits de luxe, accessoires de mode). Ça laisse un peu de mou pour baisser les prix et continuer à faire du profit ! Mais surtout, les grosses promotions permettent d’attirer le chaland : c’est une publicité alléchante, un moyen de nous faire entrer dans le magasin ou sur le site internet… Une fois rentrés, nos yeux sont attirés par d’autres produits, qui vont potentiellement plus nous intéresser, mais dont les prix seront moins réduits. Dans nos têtes, cela reste « une bonne affaire ». En réalité, la marge faite sur ces produits hors opérations promotionnelles permet aussi de financer les pourcentages de réduction pendant les soldes ou un Black Friday. Et finalement, la bonne affaire, ça ne serait pas de payer un prix juste, toute l’année ?
Guide d’usage aux amateurs de bonnes affaires
On ne va pas se mentir, les réductions, ça reste intéressant. On ne parle pas de promotions sur des objets un peu gadgets, dont nous n’avons pas nécessairement l’utilité. On ne parle pas on plus de réductions de -70% sur des produits qui proviennent probablement du système de dropshipping (pour ceux qui se demande de quoi on parle, on vous fera bientôt un article sur le sujet !).
On parle des promos sur des modèles de qualité, des objets de valeur, à un prix important. Le genre de produits pour lesquels on ne « craque » pas de manière impulsive, mais qui méritent un peu de réflexion, qui nous font hésiter, qui nous attirent mais dont on sait que c’est un investissement. L’important est d’apprendre à acheter les bonnes choses et pour les bonnes raisons ! L’art de la consommation raisonnée, en somme.
Alors comment profiter de Black Friday sans se faire avoir ?
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La liste de nos envies
Premièrement, tenir une liste de ce dont on a besoin, envie, de ce qui nous apporterait de la joie ou de l’aise dans notre quotidien : un joli lustre, une nouvelle paire de boucles d’oreilles, une centrale vapeur, un téléphone avec un appareil photo digne de ce nom… Petite astuce : créez un tableau sur Pinterest et lorsque vous avez une idée en tête, ajoutez-y la photo de cet objet. Faites un tri tous les trois mois, supprimez ce que vous avez acheté entre temps ou ce qui finalement ne vous fait plus envie ! Les éléments qui restent dans votre liste plusieurs mois (voire plusieurs années !) seront à coup sûr des achats raisonnés et raisonnables, que vous ne regretterez jamais !
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Les priorités
Si vous avez un budget limite, fixez-le en avance. Donnez-vous un peu de marge éventuellement ! Cela vous évitera de vous rendre compte que vous avez un peu trop craqué et qu’il va falloir vous serrer la ceinture sur d’autres dépenses importantes pour vous (les dîners au restaurant, les vacances au ski, le cadeau d’anniversaire de votre conjoint…).
En fonction de votre budget, listez les objets que vous pourriez acquérir, dans l’ordre de priorité que vous souhaitez. Vous pouvez aussi ajouter le prix maximum que vous seriez prêt.e à mettre pour chaque objet.
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Le repérage
Quelques semaines avant les promotions, faites le tour de ce que vous aimeriez acheter pendant les soldes ou Black Friday et repérez les marques qui vous plaisent. N’hésitez pas à privilégier les petites marques qui mettent en avant leurs lieux de production, qui sont soucieuses du bien-être de leurs employés et de l’environnement. Privilégiez aussi, pour les appareils électroniques, les marques fiables, les produits testés et approuvés par vos proches, les objets sous garanties.
Faites aussi un tour sur les plateformes de seconde main (Le Bon Coin, Vinted, Backmarket, Selency, etc.) pour analyser les prix. Ils sont parfois plus intéressants que les prix réduits des grands marchands.
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Le jour J
Pendant l’opération commerciale, reprenez votre liste de priorités et analysez les prix. On commence par les produits que l’on souhaite absolument acquérir, en comparant les prix affichés en magasins ou sur les sites marchands avec les prix de seconde main. Et surtout, on reste attentifs aux fameux dark patterns pour ne pas se faire avoir ! On y va pas à pas, l’important est de ressortir heureux.se de cette session shopping, d’avoir le sentiment, que dis-je, l’assurance d’avoir fait de bonnes affaires sur les bons produits. Si on hésite, on prend le temps de réfléchir, on prend du recul… C’est la réalité du grand commerce : il y a très souvent des promotions ! Soldes, pré-soldes, ventes privées, liquidations, jours en or, cartes privilèges, ventes flash, on s’y perd un peu, mais ce que l’on sait, c’est qu’il restera encore de nombreuses opportunités dans l’année pour profiter d’une bonne affaire.
Selon le cabinet d’études Kantar, en 2018, 47,4 % des ventes du secteur de la mode ont été réalisées sur des pièces en promotion ou en soldes en France.
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Les résistants
Certains objets de votre liste ne seront peut-être pas en promotion, cela peut arriver avec des produits intemporels ou pour des marques de luxe, ou encore chez les marques qui proposent des prix justes à l’année. Mais souvent, vous vous rendrez compte que finalement, ce modèle qui vous fait envie depuis si longtemps, vous serez prêt.e à l’acheter même sans promo. Parce que c’est un objet auquel vous accordez beaucoup de valeur, par son utilité, son design, la qualité de sa fabrication ou les valeurs portées par la marque. Et vous ne serez pas déçu.e d’avoir craqué !
Black Friday raisonné
Il n’y a aucune raison de culpabiliser à l’idée de profiter d’une journée comme le Black Friday, quand on le fait de manière sensible, dans le but d’acquérir des objets qui nous sont utiles ou qui répondent à une réelle envie, à un désir réfléchi.
Dans notre quotidien, l’acte d’achat est un acte de choix en soi. Le choix de soutenir une marque, un créateur, une boutique de notre quartier. Lorsque nos choix sont réfléchis, nos actes d’achats ne peuvent qu’être bons, car nous les faisons en pleine conscience. L’achat d’un produit pendant une vague de promotion tombe aussi dans cette catégorie : nous faisons le choix d’attendre patiemment un petit coup de pouce sur un prix pour pouvoir nous offrir l’objet de notre désir.
Certaines marques ne peuvent pas se permettre de prendre part à ces périodes de promotions, notamment lorsque les prix sont calculés de manière à ce que la marge puisse tout juste financer l’entreprise et son développement, sans fioriture, sans salaires à six chiffres. Les prix sont justes, toute l’année, et l’entreprise fait le choix de ne pas proposer de prix réduits. Ce sont souvent des marques de produits intemporels, de qualité, dont les matières premières sont coûteuses, dont la main d’œuvre prend une part importante dans le coût total du modèle. Sans jugement, notre choix se fait alors différemment : on économise, peu à peu, on demande à nos proches de se cotiser pour notre anniversaire, on sacrifie un petit plaisir pour s’offrir un produit qui nous tient à cœur. Un peu comme un objet de luxe, un sac en cuir intemporel d’une grande marque, dont nous rêvons depuis que nous sommes adolescent.es. Et lorsqu’on reçoit ce produit, on le chérit, Black Friday ou pas. La valeur et l’attachement que nous donnons a ces objets n’est plus basé sur la simple raison (très éphémère) d’avoir fait de « bonnes affaires » mais parce que nous avons réfléchi et compris pourquoi nous avions envie de ce produit avant de l’acheter. Et c’est là la clé de l’achat raisonné, qui nous apporte tant de satisfaction et nous libère des regrets de l’achat compulsif.